Isn't It a Pity pourrait être un concurrent décent à My Sweet Lord pour le titre de meilleure chanson de l'album All Things Must Pass. Les deux ont des traits très différents : la première est une chanson longue, lente, solennelle, constat assez sévère sur l'humanité. La seconde a les yeux tournés vers le ciel, est d'un tempo plus rapide, et séduit immédiatement. Comme c'est souvent le cas, pourtant, la chanson qui séduit immédiatement, à force d'être trop entendue, finit par lasser ; à l'inverse, Isn't It a Pity est de ces chansons qui, si elles mettent un certain temps à être admirées à leur juste valeur, ne déçoivent ensuite plus jamais.
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Isn't It a Pity, souvent considérée comme un temps fort spirituel d'All Things Must Pass, est présente deux fois sur l'album. |
Il est difficile de dater précisément l'époque où est née la chanson. L'ingénieur du son Geoff Emerick croit se souvenir qu'elle a été proposée aux Beatles en 1967, lors de l'enregistrement de Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band. D'autres enregistrements, de 1969, permettent d'entendre George dire que la chanson a été rejetée trois ans plus tôt par John Lennon, ce qui renverrait aux enregistrements de Revolver. Une chose est certaine : une démonstration, alors intitulée George's Demo, a été enregistrée en janvier 1969. Comme d'autres chansons prometteuses de George, elle fut rejetée par les Beatles.
La chanson remonterait dans tous les cas aux débuts de la période spirituelle de Harrison : le texte est d'une très grande profondeur qui pourrait être étonnante au vu de l'âge de son auteur (23 ans), s'il n'était pas déjà à l'origine, à la même époque, de textes élaborés comme Within You Without You ou encore Love You To. Le tout part d'un constat simple issu d'une dispute amoureuse, sur le fait qu'il est facile d'être blessé. Mais en y réflechissant, Harrison a déduit que s'il était blessé par quelqu'un, lui-même avait dû blesser d'autres gens. De ce constat arrive une chanson qui, au lieu de traiter une situation amoureuse classique, s'élargit à un constat sur le monde. En quelques vers, sont expliquées des idées simples et pourtant importantes : l'amour se prend, mais doit aussi se rendre (une idée qui sera reprise de façon plus positive par Paul McCartney dans The End, sur Abbey Road), que nous sommes tous les mêmes, et surtout, qu'à force de se lamenter sur son sort, les larmes finissent par nous empêcher de voir la beauté du monde.
La chanson est finalement enregistrée à la mi-1970, au cours des sessions d'All Things Must Pass. Deux versions sont finalement présentes sur l'album. La première, plus connue, qui sortira en single, met en présence un grand orchestre épaulé par John Barham, qui a déjà collaboré avec Harrison sur Wonderwall Music et sur son tube My Sweet Lord, la batterie de Ringo Starr, la basse de Klaus Voormann, un piano, et deux claviers (joués par Billy Preston et Gary Wright). S'y ajoutent également les guitares acoustiques du groupe Badfinger, qui en passeraient presque inaperçues. La chanson serait très comparable à Hey Jude par sa construction ; déjà par les introductions au piano (qui reposent sur des figures rythmiques assez similaires), mais surtout par l'entrée progressive des instruments, pour finir en un immense crescendo. Les deux chansons ont également une fin allongée (leur durée totale dépasse dans les deux cas les sept minutes), où la même phrase est scandée en choeurs, à répétition. Par une certaine chance, les arrangements généralement surchargés de Phil Spector servent la chanson plus qu'ils ne la desservent.
La seconde version publiée, sobrement nommée Isn't It a Pity (Version Two), est beaucoup moins somptueuse. Alors que d'autres chansons, comme Awaiting on You All, sortent grandies de versions épurées, celle-ci en souffre. L'orgue et le piano (qui reçoit dans cette version beaucoup d'écho) tentent de donner une tonalité de gospel à la chanson, mais l'ensemble reste très décevant par rapport à la première version... Elle a pourtant le mérite de révéler ce que signifiait le nom de George Harrison en 1970 : il pouvait se permettre ce genre de fantaisies, de même que la publication de l'Apple Jam sur le disque 3 d'All Things Must Pass, à une époque où les triples albums coûtaient très cher. Cela offre un contraste d'autant plus saisissant que, dix ans plus tard, les maisons de disques en arriveront au contraire à lui demander de revoir totalement sa copie pour Somewhere in England...
Si la Version Two se perd en fin d'album et ne laisse pas grande impression, la version longue et orchestrale, quatrième chanson de l'ensemble, est au contraire plus marquante par son ambiance à la fois pesante et solennelle. La chanson est en cela incontournable. Sa publication, en double face A avec My Sweet Lord dans le monde entier à l'exception du Royaume-Uni accroît sa notoriété : elle dépasse même le grand succès de Harrison dans les charts du Canada. Isn't It a Pity est devenue la chanson de Harrison la plus reprise (hors Beatles), notamment par Nina Simone. Lui-même l'a interprétée sur scène lors de sa tournée japonaise. Billy Preston et Eric Clapton en ont également fait une très émouvante reprise lors du Concert for George en 2002. Cette popularité est méritée : ce petit morceau de sagesse est à écouter absolument.
Isn't it a pity Isn't it a shame How we break each other's hearts And cause each other pain How we take each other's love Without thinking anymore Forgetting to give back Isn't it a pity Some things take so long But how do i explain When not too many people Can see we're all the same And because of all their tears Your eyes can't hope to see The beauty that surrounds them Now, isn't it a pity Isn't it a pity, Now, isn't is a shame How we break each other's hearts And cause each other pain How we take each other's love Without thinking anymore Forgetting to give back Now, isn't it a pity What a pity (répétée) | N'est-ce pas pitoyable ? N'est-ce pas une honte ? Comme on se brise le coeur les uns les autres Et comme on cause la douleur des autres Comme on prend chacun l'amour de l'autre Sans penser désormais En oubliant de le rendre N'est-ce pas pitoyable ? Certaines choses prennent si longtemps Mais comment puis-je expliquer Quand pas assez de personnes Voient que nous sommes tous les mêmes Et à cause de toutes leurs larmes Tes yeux ne peuvent espérer voir La beauté qui les entoure Là, ce n'est pas pitoyable ? N'est-ce pas pitoyable ? N'est-ce pas une honte ? Comme on se brise le coeur les uns les autres Et comme on cause la douleur des autres Comme on prend chacun l'amour de l'autre Sans penser désormais En oubliant de le rendre Là, n'est-ce pas pitoyable ? Que c'est pitoyable (répétée) |