Somewhere in England

Don't have time for music, they want the blood from a clone
 
Somewhere in England

Somewhere in England

Publié en juin 1981 par Dark Horse Records/Warner Bros. Records
Enregistré tout au long de l'année 1980 et au début 1981
Produit par George Harrison et Ray Cooper
10 pistes, 37 minutes

Avec :

George Harrison (chant, guitares, claviers), Willie Weeks (basse), Herbie Flowers (tuba, basse), Gary Brooker (clavier), Ray Cooper (claviers, batterie, percussion), Jim Keltner (batterie), Tom Scott (cuivres)

Et la participation de :

Al Kooper, Denny Laine, Neil Larsen, Dave Mattacks, Linda McCartney, Paul McCartney, Mike Moran, Alla Rakha, Ringo Starr

11e place aux États-Unis, 13e place au Royaume-Uni

Somewhere in England est un album à part dans la discographie de George Harrison. Ce n'est pas tant son style que son histoire qui pousse à ce constat. Nous sommes en 1981, et George Harrison a renoué avec le succès critique en publiant, en 1979, un album portant sobrement son nom. Après les productions travaillées et ambitieuses des débuts, il nouait cette fois-ci avec des morceaux plus personnels et plus simples. C'est sur cette lancée qu'il se propose de poursuivre lorsqu'il prépare, en 1980, un nouvel album destiné à sortir en octobre, Somewhere in England. Enregistré avec l'aide, concernant la production, du percussionniste Ray Cooper, l'album fait en quelque sorte figure de George Harrison, volume 2. Malheureusement, les éditeurs de la maison Warner Bros. Records, avec à leur tête Mo Ostin, ne se montrent pas satisfaits du projet. Face à la déferlante New Wave et au mouvement punk, les chansons introspectives et spirituelles de l'ex-Beatles semblent avoir un faible potentiel commercial. Il est donc invité à revoir sa copie, avec moi de méditation sur soi, et plus d'amourettes adolescentes sur fond de pop.

Somewhere in England (pochette de 2004)
La pochette voulue par George Harrison pour Somewhere in England, refusée par la Warner, n'a été placée sur le disque qu'en 2004 lors d'une réédition.

Autant dire que pour George, qui s'est vu refuser jusqu'à la pochette de son disque, la claque est énorme. Pour la première fois, un ex-Beatle doit faire amende honorable et n'a plus le contrôle de sa création face aux éditeurs. Impensable ! Tellement impensable que c'est un Harrison dégouté qui bâcle l'année suivante un dernier album, Gone Troppo, histoire d'en finir avec son contrat le liant à Warner. Que valent donc ces chansons rejetées ? Que ce soit Sat Singing, Lay His Head et Flying Hour, trois des quatre chansons finalement écartées, toutes concernent avant tout leur auteur qui s'interroge sur lui-même, son être, sa pensée. La quatrième, Tears of the World, est encore pire du point de vue de la Warner Bros. : c'est un constat désabusé sur l'état actuel du monde. Un regard totalement résigné sur une planète en pleine déchéance. À 100 lieues des banalités qui marchent auprès des jeunes, donc ! Ces chansons n'apparaîtront finalement que sur des coffrets séparés, ou en pistes bonus, pour un constat fort de la critique : elles étaient pourtant excellentes.

Six autres chansons d'origine sont pour leur part conservées. Le magnifique Save the World, qui clôt l'album, est une sorte de pendant humoristique de Tears of the World. Le constat est cette fois-ci plus cynique : « On doit sauver le monde, quelqu'un d'autre pourrait avoir besoin de s'en servir ! » Déforestation, chasse à la baleine, bombes atomiques, tout y passe, sur un ton souvent décalé. La conclusion est pourtant pessimiste : « On est à la merci de si peu qui ont des cœurs mauvais déterminés à faire de la planète un enfer... puis de trouver un acheteur pour conclure une vente rapide. » Trente ans après, le constat est toujours possible. La production de la chanson est certainement aussi la plus travaillée, celle qui lui donne son air le plus caricatural. Harrison est alors ami avec les Monty Python, qu'il considère comme le reflet de la folie du monde, et notamment d'Eric Idle, qui a composé quelques succès de la troupe comique, notamment le célèbre Always Look on the Bright Side of Life (chanson de conclusion du film La Vie de Brian). Le ton utilisé est assez proche, témoignant de la proximité de Harrison avec la troupe.

Toujours dans le cynisme, Harrison a composé une vibrante charge contre la musique disco : Unconciousness Rules. Les premiers vers sont parlants : « Tu danses en discothèque, c'est pour ça que tu as l'air d'un tel déchet ! » On s'étonnerait presque que la chanson ait échappé aux filets de Mo Ostin ! Restent enfin deux chansons moins marquantes selon moi, mais importantes pour cerner ce que devait être l'album dans l'esprit de Harrison : Life Itself et Writing's On the Wall sont en effet les plus proches du travail d'origine. Viennent également deux reprises de chansons d'Hoagy Charmichael, datant de la fin des années 1930 et 1940. Comme Paul McCartney, George Harrison n'a jamais nié avoir une certaine tendresse pour les hits de son enfance. Si ces deux reprises ne sont pas les chansons les plus marquantes de l'époque, elles ont cependant été assez bien réactualisées par Harrison pour sembler contemporaines aux autres. Elles témoignent tout de même de la volonté totale de Harrison d'aller à l'encontre des codes de son époque. Les officiels de la Warner lui ont d'ailleurs refusé de faire figurer l'une d'elles en ouverture de l'album, montrant qu'une fois encore, son choix gênait.

Cela nous amène aux quatre chansons ajoutées à l'album fin 1980/début 1981 pour remplacer les éliminées. Deux d'entre elles prennent la forme de brillantes provocations. Tout en souscrivant totalement au style moderne voulu par les éditeurs, Harrison ne quitte pas sa plume cynique pour attaquer ceux qui l'empêchent d'arriver à ses fins. Ainsi, Blood from a Clone, qui ouvre l'album, est une charge non dissimulée contre Mo Ostin et ses comparses. Harrison s'y moque de ces hommes en costumes qui vendent de la musique comme on vendrait des vêtements ou des voitures, en fonction des modes. Il se plaint ainsi d'avoir affaire à des gens qui ne recherchent pas de la musique, mais le « sang d'un clone ». De la même façon, Harrison détourne totalement le principe imposé par la Warner avec That Which I Have Lost. Le titre fait penser à une banale chanson d'amour ? La forme y correspond, mais le fond est du pur Harrison, évoquant des questions de prise de conscience spirituelle. Autant le dire, les dirigeants de la Warner n'ont pas eu leur amourette attendue. Teardrops ne suit malheureusement pas ce chemin. C'est un pur air pop, concession aux « hommes en costume » qui sera édité sans succès en single. Sympathique à écouter, mais vite oubliée. Harrison tenait sa chanson contemporaine !

John Lennon en 1980
L'assassinat de John Lennon en 1980 est à l'origine de la composition de All Those Years Ago.

Il convient enfin de se pencher sur le clou de l'album, le single qui a permis au disque de connaître un relatif succès commercial. All Those Years Ago était à l'origine une composition destinée à Ringo Starr pour son album Can't Fight the Lightning, finalement transformé en Stop and Smell the Roses. Mais un événement tragique a tout changé : le 8 décembre 1980, John Lennon est assassiné devant chez lui par Mark David Chapman. George et lui n'avaient plus eu de bons rapports depuis quelques temps. Pour tout dire, Lennon en voulait énormément à son ancien partenaire pour le contenu de son autobiographie I, Me, Mine qui ne le mentionnait pas assez à son goût. Cela n'empêche pas Harrison d'être terriblement marqué par la mort de son ami. La chanson est retouchée et transformée en air guilleret aux paroles optimistes : plutôt que de pleurer Lennon, énonçons ce qu'il a apporté au monde. George en dresse un portrait qui le ferait presque passer pour le messie, apporteur de messages de paix et d'amour qu' « Ils » n'ont pas saisi. Ringo Starr joue de la batterie, tandis que les McCartney assurent les choeurs avec leur camarade des Wings, Denny Laine (c'est d'ailleurs la dernière fois que ce noyau dur des Wings est uni sur un disque). La chanson est clairement un des sommets de l'album, et de la carrière de Harrison ; et le public saura le reconnaître.

Somewhere in England connaît en revanche une carrière assez désastreuse. S'il monte vite dans les charts, porté par le single All Those Years Ago, il s'effondre encore plus rapidement et sort en quelques semaines des classements. La critique n'est pas tendre : il faut dire que l'album, s'il contient des chansons de grandes qualité, est assez épars et manque d'unité. C'est pourtant un album très plaisant, vers lequel on peut se tourner avec plaisir. La version voulue par Harrison n'a jamais été éditée. En revanche, la réédition de 2004 de l'album le présent sous sa pochette conçue originellement, présentant la tête de George fusionnée à une carte d'Angleterre. Maigre victoire sur la Warner Bros...

Liste des chansons :
  1. Blod from a Clone
  2. Unconciousness Rules
  3. Life Itself
  4. All Those Years Ago
  5. Baltimore Oriole
  6. Teardrops
  7. That Which I Have Lost
  8. Writing's On the Wall
  9. Hong Kong Blues
  10. Save the World



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