Piggies est une des quatre chansons de George Harrison sur l'album blanc. |
En 1968, l'« album blanc » des Beatles marque une vraie rupture stylistique. Après deux albums marqués par le psychédélisme et le déferlement de couleurs sonores variées, le groupe décide de proposer un disque tout aussi varié, mais épuré. Deux disques, en réalité, puisque l'album sera double. Les styles sont variés : on trouve du rock, parfois tendance métal, de la ballade acoustique, un morceau de country (Don't Pass Me By, première chanson signée Ringo), du music hall, et même un collage sonore, Revolution 9. Au milieu du premier disque se trouve donc Piggies, originale chanson de George aux airs baroques.
Elle ne paye pas de mine, cette chanson avec son introduction au clavecin, ses arrangements de cordes et son petit air gentillet. Un total contraste avec son propos, venimeux au possible, une charge violente contre la petite bourgeoisie des hommes d'affaires qui pensent mener le monde. Le thème réapparaîtra régulièrement dans l'œuvre solo de George, mais rarement avec une telle hargne. Le texte montre d'abord des petits cochons (vrais, ceux-ci), se roulant dans la boue pour jouer, et qui n'en manquent pas. Puis il mentionne de « plus gros pourceaux » qui, vêtus de chemises blanches bien proprettes, « remuent la merde ». Harrison dénonce leur inhumanité, le fait qu'il « manque quelque chose dans leurs yeux », puis raconte comment chaque soir ils sortent avec leur « cochonne de femme » pour « manger du bacon ». Ce dernier vers, imaginé par John Lennon, est l'ultime coup de couteau. Ces cochons, en mangeant leurs semblables, ne sont ils pas une métaphore de ces financiers qui coulent le monde ?
L'aspect baroque de la chanson n'était pas établi à l'origine. Sur les disques Anthology, on peut découvrir une version de démonstration de la chanson principalement jouée à la guitare acoustique. Le 19 septembre, lorsque les Beatles viennent l'enregistrer, le producteur Chris Thomas (George Martin est alors en vacances) découvre que le studio voisin contient un clavecin destiné à servir à une session de musique classique le lendemain. Le producteur a tôt fait de proposer à Harrison de rajouter de cet instrument, et il en joue donc sur la piste rythmique enregistrée ce jour là, tandis que George est à la guitare acoustique, Paul à la basse et Ringo au tambourin. Le lendemain, George ajoute sa partie de chant (qu'il double par endroit), John et Paul des chœurs.
Piggies a contribué à inspirer les meurtres de Charles Manson, dont celui de Sharon Tate, épouse de Roman Polanski. Triste coïncidence : tous deux connaissaient George. |
Le même jour, John travaille à un bruitage maison, les cris de porc qui ponctuent certains couplets. Difficile de dire précisément si ces cris sont humains, ou issus d'une cassette de bruitage des studios Abbey Road. Enfin, il faut attendre le 10 octobre pour que George Martin produise un accompagnement d'instruments à cordes. Piggies est donc prête et sort le 22 novembre, en douzième position sur le disque 1 de l'album The Beatles (surnommé album blanc par les fans) qui contient également While My Guitar Gently Weeps, autre chanson de son cru.
Au delà de la chanson, Piggies a gagné une certaine notoriété en 1971, lors du procès de Charles Manson, qui avait assassiné avec sa bande un certain nombre de personnes à Los Angeles en 1969, notamment Sharon Tate, l'épouse de Roman Polanski. Le meurtrier avait puisé dans l'album des Beatles un certain nombre de messages. Comme l'explique John Lennon : « Toute l'histoire Manson a été construite à partir de la chanson de George sur les cochons, et d'une chanson de Paul sur un parc d'attractions anglais. Cela ne voulait rien dire et je n'avais vraiment rien à voir là-dedans. C'est un fêlé, comme n'importe quel fan des Beatles qui découvrirait du mysticisme là-dedans. » Pour George, « ça a été vraiment épouvantable d'être associés à quelque chose d'aussi sordide que l'histoire de Charles Manson. »
Un vers en particulier avait parlé à Manson : « What they need is a damn good whacking » (« ce qu'il leur faudrait, c'est une bonne fessée »). Pourtant, loin d'être un message caché, le vers était juste une idée de la mère de George alors qu'il cherchait une rime ! Malgré la polémique entourant a chanson, George a conservé une certaine affection à son égard, et l'a rechantée lors de ses concerts japonais, en ajoutant quelques vers adressés plus précisément aux banquiers. Aujourd'hui encore, la rengaine reste d'actualité.
Have you seen the little piggies Crawling in the dirt And for all the little piggies Life is getting worse Always having dirt to play around in. Have you seen the bigger piggies In their starched white shirts You will find the bigger piggies Stirring up the dirt Always have clean shirts to play around in. In their sties with all their backing They don't care what goes on around In their eyes there's something lacking What they need's a damn good whacking. Everywhere there's lots of piggies Living piggy lives You can see them out for dinner With their piggy wives Clutching forks and knives to eat their bacon. * One more time ! |
Avez vous vu les petits pourceaux Qui nagent dans la crasse Et pour tous ces petits pourceaux La vie empire, Ils ont toujours de la crasse pour jouer dans le coin. Avez-vous vu de plus gros pourceaux, Dans leurs chemises blanches cintrées Vous trouverez ces plus gros pourceaux En train de remuer la crasse, Ils ont toujours des chemises propres pour jouer dans le coin. Dans leurs porcheries avec tous leurs appuis, Ils se moquent de ce qui se passe autour d'eux, Dans leurs yeux quelque chose manque, Ce qu'il leur faut c'est une bonne volée de coups. Partout il y a des tas de pourceaux Qui vivent leurs vies de pourceaux, Vous pouvez les voir sortir pour dîner Avec leurs femmes pourceaux Brandissant fourchettes et couteaux pour manger leur bacon. * Encore une fois ! |