My Sweet Lord

All Things Must Pass, 1970
 

Lorsqu'il a sorti My Sweet Lord en single, George Harrison faisait un pari risqué, celui de définitivement sortir de son profil de jeune star drôle et insouciante pour réveler sa vie spirituelle. Ce pari, sur lequel il a longuement hésité, s'est révélé payant puisqu'il a tenu avec ce disque un succès mondial. Chanson aux multiples vies, des réenregistrements aux accusations de plagiat, My Sweet Lord est sans conteste la pièce maîtresse de l'oeuvre de George Harrison, à l'image d'Imagine pour John Lennon.

Encouraging Words par Billy Preston
My Sweet Lord a tout d'abord été donnée à Billy Preston pour son album Encouraging Words, produit par George Harrison.

L'origine de la chanson remonte à l'année 1969, durant laquelle Harrison se prend de passion pour les chants religieux de toutes origines. Il aide ainsi son ami Billy Preston à enregistrer son gospel That's the Way God Planned It (que ce dernier interprètera avec brio lors du Concert for Bangladesh), mais aussi ses amis de l'Association Internationale pour la Conscience de Krishna (ISKCON) pour l'enregistrement du séculaire Hare Krishna Mantra, qu'il parvient même a faire interpréter lors de l'émission Top of the Pops. C'est dans la continuité de ces projets qu'il improvise en décembre 1969, alors qu'il est de passage au Danemark, un chant inspiré de Oh Happy Day tel qu'interprété par les Edwin Hawkins Singers. C'est en brodant quelques accords autour des mots « Hare Krishna » et « Halleluja », et avec l'aide de Billy Preston, qu'il achève la chanson.

À cette époque, cependant, et si John Lennon a quitté les Beatles, le groupe n'est pas publiquement séparé pour autant, et Harrison n'exclut pas, dans l'immédiat, de ne plus travailler avec ses partenaires : il faudra attendre avril 1970, et les déclarations de Paul McCartney, pour mettre fin au suspense. Dans cette situation, George décide donc, dans un premier temps, d'offrir sa chanson (ainsi qu'un autre de ses futurs classiques, All Things Must Pass), à son ami Billy Preston. Il participe d'ailleurs à l'enregistrement de cette version de My Sweet Lord, en janvier 1970. La version de Preston, qui excelle dans le gospel, diffère de celle de Harrison par la présence beaucoup moins affirmée du mantra indien « Hare Krishna », réduisant le sentiment d'universalité créé par la chanson finale. Preston publie la chanson en septembre 1970 sur son album Encouraging Words, qui connait un succès assez réduit dans les charts malgré de bonnes critiques. My Sweet Lord, publiée en single, connaît un succès mineur, qui s'amplifie légèrement avec la popularité de la version de Harrison, qui lui succède de peu.

Harrison lui-même n'est pas convaincu de la pertinence d'enregistrer cette chanson : « J'ai beaucoup réfléchi pour savoir si je devais faire My Sweet Lord ou non, car je me révèlerais publiquement et je savais que beaucoup de gens pourraient réagir bizarrement à ça. Beaucoup de gens ont peur des mots « Seigneur » ou « Dieu » ; ça les met en colère pour d'étranges raisons ». Il ajoute, au sujet de la conclusion de ses réflexions : « C'était ce que je ressentais, pourquoi devrais-je être faux avec moi-même ? J'en suis arrivé à croire en l'importance du fait que si on ressent quelque chose assez fort, alors il faut le dire ».

Musiciens (supposés) :
  • George Harrison : chant, chœurs, guitare slide
  • Eric Clapton : guitare acoustique
  • Pete Ham : guitare acoustique
  • Tom Evans : guitare acoustique
  • Joey Molland : guitare acoustique
  • Billy Preston : piano
  • Gary Wright : piano électrique
  • Klaus Voormann : basse
  • Ringo Starr : batterie
  • Jim Gordon : batterie
  • Mike Gibbins : tambourin
  • John Barham : harmonium, arrangements de cordes et vents

C'est ainsi que My Sweet Lord se retrouve parmi la trentaine de chansons enregistrées pour l'album All Things Must Pass entre mai et octobre 1970. Les circonstances précises de l'enregistrement sont assez floues. En 2011 a été publiée, sur Early Takes Vol. 1, une version acoustique de la chanson datant probablement du début des sessions.  La formation du groupe présent pour enregistrer l'ensemble est également assez floue. On retient généralement la présence d'Eric Clapton et des quatre membres du groupe Badfinger à la guitare acoustique (et au tambourin pour l'un d'eux), de Ringo Starr et Jim Gordon à la batterie, et de Klaus Voormann à la basse, tandis que Harrison se charge du chant et de la guitare solo. À cela s'ajoute la production caractéristique de Phil Spector, et les orchestrations de John Barham, qui avait déjà travaillé avec Harrison sur Wonderwall Music.

Une version très convenable selon Spector semble prête dès août, mais Harrison, perfectionniste, réenregistre à plusieurs reprises le chant, ainsi que les chœurs dont il s'occupe en totalité (tout en les attribuant avec humour aux « George O'Hara-Smith Singers »). Il travaille également beaucoup ses parties de guitare slide, qu'il veut utiliser pour évoquer l'Inde : ces sonorités deviendront l'une des principales caractéristiques de la chanson.

Reste encore à savoir quoi faire de la chanson. Dès le début, Spector voit en elle un single au succès évident. Harrison est en revanche très réticent à l'idée de publier un single issu d'All Things Must Pass, qui lui semble être un tout cohérent qu'on ne peut découper. Les dirigeants d'Apple, notamment Allen Klein, ne manquent pas de pousser en sens inverse, et toutes les personnes à qui Harrison demande un avis sont unanimes. Il obtient alors un compromis : My Sweet Lord sera publiée en single partout dans le monde peu avant la sortie de l'album, sauf en Grande-Bretagne.

My Sweet Lord sort ainsi le 23 novembre 1970 en double face A, avec le très spirituel Isn't It a Pity. Le succès est immédiat : sans que Harrison n'en fasse la promotion par des interviews ou des concerts, les passages à la radio suffisent à propulser la chanson en tête des charts dans de nombreux pays. Dès le mois de décembre, il est disque d'or, vendu à un million d'exemplaires. En janvier 1971, le disque sort en single au Royaume-Uni, cette fois-ci avec What Is Life en face B : initiative judicieuse dans la mesure où My Sweet Lord est le single le plus vendu de l'année dans ce pays. En 1978, on compte 5 millions d'exemplaires vendus. En 2010, le chiffre s'élèverait au double. Le succès est en effet durable : le single, republié deux mois après la mort de Harrison en janvier 2002, regagne aussitôt la tête des charts. Le succès de My Sweet Lord est donc un succès bien durable : la chanson est entrée dans l'inconscient collectif.

My Sweet Lord est la chanson emblématique de l'album All Things Must Pass, qui est le plus grand succès de la carrière de Harrison.

Il y a justement une chose dont George Harrison n'a pas eu conscience en écrivant cette chanson : l'air était assez nettement inspiré d'un hit passé, He's So Fine, des Chiffons. Cette chanson n'est pas restée dans les annales, mais était à l'époque suffisamment connue pour que, peu à peu, bien des gens fassent le rapprochement. Harrison lui-même en fut troublé : « Des gens ont commencé à en parler et c'est alors que j'ai pensé « Pourquoi ne l'ai-je pas vu ? » Il aurait été facile de changer une note ici ou là sans changer le sentiment général du disque. » S'engage alors, en 1971, une longue procédure pour essayer de démêler l'affaire : Allen Klein, d'abord manager de Harrison, rejeté à partir de 1973, y joue un rôle assez obscur, finissant par racheter pour son propre compte les droits de la chanson supposément plagiée. En 1976, Harrison doit se présenter devant une cour de justice, guitare en main, pour y expliquer sa façon de composer. L'accusation de plagiat inconscient est retenue, et une partie des revenus de la chanson sont reversés aux ayant-droit. Harrison prend pour sa part le partie d'en rire, en composant This Song pour son album Thirty Three and 1/3.

Dans tous les cas, un point a été retenu de cettte chanson, le message universel que Harrison a su apporter : lui qui n'adhère à aucun courant religieux précis essaie de les embrasser tous, par une adresse qui peut convenir à n'importe quel croyant : « Mon doux Seigneur ». Plus encore, la douce transition, dans les chœurs, entre « Halleluja » et la répétition du mantra Hare Krishna, est aussi un message de tolérance : quelle que soit la langue, quels que soient les codes, l'important n'est pas la manière de s'adresser à Dieu mais l'amour qui est derrière. Il le revendique clairement dans son autobiographie, I Me Mine : « Je voulais montrer que « Halleluja » et « Hare Krishna » sont à peu près la même chose. »

Comme d'habitude avec Harrison, le message a à la fois pour but de toucher les croyants sincères, et de heurter les intégristes et autres bigots de toutes espèces qui, selon lui, dénaturent la religion (ce sera notamment un thème de plusieurs chansons de son album Brainwashed). Le résultat est d'ailleurs atteint : là où beaucoup de croyants et même de non-croyants sont touchés par le message porté par la chanson, des mouvances fondamentalistes chrétiennes jugent la chanson « satanique » à cause du parallèle entre un mot rituel chrétien et un mantra hindou. La chanson reçoit dans tous les cas de très bonnes critiques d'autres musiciens de renom, Mick Jagger et Keith Richards en parlent comme de leur chanson préférée de Harrison, avec While My Guitar Gently Weeps, tandis qu'un Lennon pourtant critique déclare en 1970 « Chaque fois que j'allume la radio, c'est « Oh, mon seigneur » ; je commence à croire qu'il doit vraiment y avoir un Dieu ! »

My Sweet Lord est restée une sorte de malédiction pour Harrison, de même que son album All Things Must Pass : en plaçant la barre si haut avec son premier single et son premier album, Harrison obtient des résultats qu'il ne pourra plus jamais égaler. Toute sa vie durant, ses travaux suivants furent jugés à l'aune de ces deux productions, et toujours en faveur de ces dernières. Contrairement à Lennon qui tenta souvent de se détacher d'Imagine, Harrison a tout à fait assumé ce passé. Elle fut de tous ses concerts. Peu avant sa mort, et déjà très atteint par le cancer, il en réalise une nouvelle version (My Sweet Lord 2000), avec une introduction au sitar, un travail de slide plus étoffé (c'est vraisemblablement ce qui l'a incité à réenregistrer), et des chœurs confiés à la chanteuse Sam Brown. Cette version apparut sur la réédition d'All Things Must Pass, ainsi que sur le single posthume publié en janvier 2002. Assez différente, séduisante par certains aspects, elle n'a pourtant pas la puissance brute de l'originale.

Paroles (telles que présentées, sans les répétitions, dans I Me Mine) :
My sweet Lord, I really want to see you
I really want to be with you
I really want to see you Lord
But it takes so long
My Lord

My sweet Lord, I really want to know you
I really want to go with you
I really want to show you Lord
That it won't take long
My Lord
Mon doux Seigneur, je veux vraiment te voir,
Je veux vraiment être avec toi
Je veux vraiment te voir Seigneur
Mais c'est tellement long
Mon Seigneur

Mon doux Seigneur, je veux vraiment te connaître,
Je veux vraiment venir avec toi
Je veux vraiment te montrer, Seigneur
Que ça ne prendra pas longtemps,
Mon Seigneur



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