La frustration croissante de George Harrison vis-à-vis de sa position au sein des Beatles transparaît assez tôt dans ses compositions, qu'il s'agisse d'Only a Northern Song ou de Not Guilty, en 1967 et 1968, mais, à chaque fois, ces compositions très acerbes sont tenues à l'écart par le groupe pour des raisons évidentes. Cette tension explose finalement de façon littérale dans le bouillant Wah-Wah, dans lequel Harrison laisse sortir en quelques mots bien des rancœurs.
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Les tensions durant l'enregistrement de Let It Be ont abouti à la composition de Wah-Wah. |
La composition remonte à janvier 1969. Après une pause depuis les harassants enregistrements de l'album blanc, le groupe se réunit à nouveau pour tourner un film et enregistrer un disque dans le cadre du projet Get Back, qui aboutira plus tardivement à l'album Let It Be. Les sessions, dans les studios de cinéma de Twickenham, austères et froids, sont tendus. McCartney se montre plus dirigiste que jamais, notamment à l'égard de George, toujours considéré comme le « petit frère » au sein du groupe ; Lennon est pour sa part obnubilé par Yoko Ono, omniprésente durant les journées de travail, et tous deux sont passablement abîmés par leur dépendance à l'héroïne. Au milieu de cela, le pauvre Ringo regarde ses amis s'entredéchirer entre deux morceaux de musique.
Un jour que Lennon l'a trop méchamment critiqué, après d'autres prises de tête du même tonneau, Harrison claque la porte, invitent les autres à passer une annonce dans le New Musical Express, pour le remplacer. Il faudra plusieurs jours et d'âpres négociations pour le faire revenir au sein du groupe afin de terminer le film, puis de travailler sur Abbey Road. Durant ces quelques jours d'exil, le musicien frustré peut ainsi exprimer colère et déception dans le texte de Wah-Wah. La pédale wah-wah qui donne son nom à la chanson devient ici le symbole de toute l'expérience Beatles offerte par ses amis, dont le chanteur ne veut plus. « Vous m'avez rendu célèbre, mais je ne vous reconnais plus », dit il en somme avant de se plaindre de n'être pour eux qu'un élément anecdotique. Il conclut sur une note optimiste, expliquant que, désormais que sa quête spirituelle lui a fait découvrir les beautés de la vie, la célébrité ne l'intéresse plus.
Dans son livre, I, Me, Mine, George Harrison revient sur l'origine de cette chanson, décrivant l'ambiance délétère et les difficultés constantes pour écrire. Il explique notamment : « Wah wah désignait avant tout un mal de tête, plus qu'une pédale. Elle a été écrite pendant un moment du film où John et Yoko déliraient en criant ; j'ai quitté le groupe, suis rentré à la maison ; et j'ai écrit ce morceau. » Vu son origine, on ne s'étonnera pas que Harrison n'ait pas proposé ce morceau lors de son retour au sein du groupe, et ce sont finalement I Me Mine et For You Blue qui sont travaillées pour l'album.
Il faut attendre le printemps 1970, lorsque Paul McCartney annonce officiellement la fin des Beatles, pour que Harrison se décide à enregistrer son premier véritable album en solo, All Things Must Pass. Le détail des séances d'enregistrement est inconnu, mais Wah-Wah est la première chanson enregistrée, fin mai. Le morceau se construit sur un riff longuement répété, inspiré de Coming Home, une chanson de Delaney and Bonnie avec qui Harrison a tourné en compagnie d'Eric Clapton, quelques temps auparavant. Clapton et Harrison jouent le riff à la guitare électrique, accompagnés des guitares acoustiques de trois membres de Badfinger. Billy Preston et Gary Wright jouent pour leur part du clavier, tandis que le riff est également repris par une importante section de cuivres. Enfin, Ringo Starr assure la batterie tandis que Klaus Voormann se charge de la basse, et de nombreuses percussions accompagnent l'ensemble. Des solos de guitare slide et de saxophone sont vraisemblablement enregistrés plus tard, en août ou septembre, de même que les chœurs que Harrison assure lui même, sous le pseudonyme de « George O'Hara-Smith ».
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Le travail de producteur de Phil Spector sur Wah-Wah n'a pas été du goût de George Harrison, qui s'en est malgré tout accomodé. |
L'ensemble est ensuite produit par Phil Spector, mais Harrison, qui trouvait génial ce qu'il avait entendu en studio, est sidéré par le résultat présenté par le producteur. Avec sa technique du mur de son, Spector a totalement saturé l'ensemble, noyant notamment le chant. Pour George, le résultat est tout simplement « horrible », même s'il déclarera par la suite en être arrivé à bien l'aimer. Lors de la republication d'All Things Must Pass en 2000, Harrison a néanmoins regretté cette surproduction, espérant que des versions plus dépouillées pourraient un jour être entendues. Si certaines versions préparatoires de chansons comme My Sweet Lord ou Awaiting for You All ont été publiées depuis (cette dernière en étant particulièrement améliorée), les seules démos de Wah-Wah existantes ne peuvent que se retrouver dans des recoins du web. Il s'agit cependant probablement de l'une des chansons de l'album pour lesquelles la surproduction spectorienne est la plus adaptée.
Publiée entre deux piliers spirituels de l'album, My Sweet Lord et Isn't It a Pity, Wah-Wah a instantanément été reconnue comme un grand morceau, marquant la libération du musicien qui peut définitivement prendre son envol. La carrière de la chanson ne s'arrête pas là puisque c'est une reprise élecrisée de Wah-Wah qui ouvre la partie occidentale du Concert for Bangladesh sous un tonnerre d'applaudissements, dans une version probablement plus proche des désirs de Harrison, servie par un groupe de pointures. Malheureusement, les versions de la chanson que l'on retrouve tant sur l'album que sur le film du concert sont composites, à partir des deux prestations du groupe, à cause d'un souci durant l'enregistrement. Cela n'altère en rien la qualité du résultat. Wah-Wah est également la dernière chanson composée par Harrison interprétée lors du Concert for George, par le groupe au grand complet ; également un moment d'anthologie.
Wah-wah You've given me a wah-wah And I'm thinking of you And all the things that we used to do Wah-wah, wah-wah Wah-wah You made me such a big star Being there at the right time Cheaper than a dime Wah-wah, you've given me your Wah-wah, wah-wah Oh, you don't see me crying Oh, you don't hear me sighing Wah-wah Now, I don't need no wah-wah And I know how sweet life can be If I keep myself free of wah-wah I don't need no wah-wah | Wah-wah Vous m'avez donné une wah-wah Et je pense à vous Et à toutes ces choses qu'on faisait Wah-wah, wah-wah Wah-wah Vous avez fait de moi une telle star J'étais là au bon moment Moins cher qu'un centime Wah-wah, vous m'avez donné votre Wah-wah, wah-wah Oh, vous ne me voyez pas pleurer Oh, vous ne m'entendez pas soupirer Wah-wah Maintenant, je n'ai plus besoin de wah-wah Et je sais à quel point la vie peut être douce Si je reste à distance des wah-wah Je n'ai pas besoin de wah-wah |